Au cours des quinze dernières années, j’ai travaillé sur les structures innovantes. Pour développer ce type de structure, j’ai renforcé les liens entre la mécanique des matériaux, l’ingénierie structurelle et les mathématiques appliquées pour explorer de nouvelles voies et proposer des innovations en matière de construction. Trois sujets principaux seront détaillés dans ce projet de recherche. Le premier sujet est une connaissance approfondie des matériaux en vue d’une utilisation sur mesure. Le second est une gestion mathématique rigoureuse des formes et de la géométrie pour rationaliser des situations complexes de manière totalement intégrative, y compris en y tenant compte des contraintes de connexions, par exemple. Et enfin, si l’on ne peut rester aveugle aux nouvelles perspectives numériques et technologiques qui pénètrent tous les secteurs économiques, comme les robots et l’impression 3D, quelles sont les idées numériques pertinentes pour la construction ? La combinaison de tous ces aspects peut aider à la conception de structures complexes les rendant plus abordables tant dans leur dimensionnement qu’économiquement.
Penser à la mécanique des matériaux
Pour concevoir une structure, le comportement spécifique du matériau qui sera utilisé joue un rôle clé. Il est toujours important de se souvenir que le premier pont en fer ressemblait beaucoup à celui de la maçonnerie. Ce n’est qu’après quelques décennies de développement que l’acier a trouvé ses propres structures telles que le treillis Pratt … De nouveaux matériaux dans l’industrie du bâtiment tels que les matériaux composites copient souvent des solutions en acier (fermes, assemblages boulonnés, poutres en I ou T …), ou encore plus à la mode, quelques solutions d’impression 3D pour béton sans considérations rhéologiques. Plusieurs exemples d’utilisation innovante de matériaux pour concevoir des structures sont en train d’être étudiés. Un premier exemple concerne les alliages à mémoire de forme (SMA) pour un dispositif de protection solaire. Il est impossible de proposer des systèmes pertinents sans modéliser et tester le comportement hautement non linéaire des SMA, qui est couplé à la réponse de la structure. Un deuxième exemple concerne les matériaux composites. Les matériaux composites doivent être utilisés en fonction de leurs caractéristiques spécifiques (légèreté, flexibilité, etc. ), et en recherchant de nouvelles conceptions adéquates. Par exemple, les gridshells élastiques ont été faits de bois parce que c’est le seul matériau de construction traditionnel qui peut être plié élastiquement avec de grandes déformations sans se casser. mais les plastiques renforcés de fibre de verre (GFRP) ont une limite élastique plus élevée (1,5% au mieux pour le GFRP et 0,5% pour le bois) et leur module de Young est également plus élevé (25-30 GPa contre 10 GPa pour le bois). On peut s’attendre à ce que la charge de flambage d’un gridshell dans le GFRP soit 2,5 à 3 fois plus élevée que celle du bois.
La constructibilité cache souvent un problème de géométrie
Les dernières décennies ont vu l’émergence de nouveaux outils pour les architectes; ces outils principalement basés sur les NURBS ont permis de produire des formes architecturales non standard. Malheureusement, ces formes étaient souvent coûteuses économiquement et écologiquement en termes de quantité de matériaux nécessaires à la fabrication en raison de la complexité de l’assemblage. Les concepteurs se retrouvent souvent sans défense face à la complexité géométrique de ces objets. Pour résoudre le problème, certaines entreprises réalisent une post rationalisation de la forme proposée par le concepteur afin de résoudre certains aspects de construction tels que la planéité des facettes ou des nœuds sans torsion… Cette post-rationalisation peut prendre beaucoup de temps et nécessite souvent un expert pour l’exécuter.
La recherche que j’effectue prend le point de vue mathématique basé sur l’invariance sous des transformations géométriques, et étudie plusieurs stratégies pour la modélisation de forme facile à fabriquer. En d’autres termes, nous fournissons des outils qui intègrent des considérations de technique de fabrication directement dans la génération de forme sans
avoir besoin de techniques de post-rationalisation lourdes. Trois points technologiques principaux ont été identifiés et correspondent à trois contributions indépendantes.
- La répétition des nœuds est étudiée via des transformations par parallélisme. Ils sont utilisés pour généraliser les surfaces de révolution. Cette technique peut être adaptée pour la recherche de formes des structures nexorades.
- Les réseaux cycliques sont utilisés pour modéliser des formes paramétrées par leurs lignes de courbure. Cela garantit au maillage des panneaux plans et la disposition des poutres sans torsion.
- Une méthode innovante inspirée de la géométrie descriptive est proposée pour générer des formes doublement courbées recouvertes de facettes planes. La méthode, appelée technique de la marionnette, réduit le problème à un problème linéaire, qui peut être résolu en temps réel.
Quels peuvent être les apports du numérique et de la robotique ?
Le numérique et les nouvelles technologies devraient permettre des approches ra- dicalement nouvelles pour la construction. Une première tâche consiste à identifier les opportunités pertinentes et c’est ce que nous proposons par exemple pour l’impression 3D en béton ou pour les robots maçons.
- Comment imprimer un mur isolé innovantLa maçonnerie utilise la technique d’assemblage de parpaings et de mortier ceinturé dans un chainage en béton armé. Ce système de construction est très populaire, surtout pour les logements individuels et collectifs : il est à la fois bon marché, rapide et facile à mettre en œuvre. D’un point de vue pure- ment mécanique, il est cependant assez inefficace. Dans le cas d’une maison à un ou deux étages, le besoin en résistance mécanique pour le mur lui-même, compte tenu de la présence du chainage en béton armé, est en effet beaucoup plus faible que ce que le système de parpaing/mortier peut fournir. Le rôle principal de ces parpaings est en effet de permettre une continuité, à des fins de contreventement, et d’agir comme paroi de séparation. On pourrait dire que le mortier entre les blocs est le seul élément nécessaire pour assurer la ré- sistance. De telles considérations nous amènent à l’idée d’assembler des blocs isolants au lieu de parpaings, en laissant le rôle mécanique au mortier entre les deux, et en obtenant des performances thermiques en plus. Le nouveau système pour le mur est maintenant une généralisation du précédent : une structure spatiale continue en mortier, et une isolation thermique. L’aspect clé de la technique consiste à assembler des blocs isolants de forme spécifique en imprimant un joint de mortier à l’emplacement des bords. Le mortier est extrudé à travers une buse contrôlée par un bras robotisé. Le mortier sert de joint pour les blocs isolants, alors qu’ils servent de support d’impression pour le mortier.
- Robots maçons intelligentsLe but de ce travail est de montrer le potentiel des bras de la robotique et de la vision par ordinateur pour assembler de manière autonome des murs de maçonnerie où toutes les pierres de taille peuvent avoir des formes dif- férentes. Pour que la technique soit facilement utilisable sur un chantier de construction, nous ne comptons que sur des caméras 2D simples plutôt que sur des scanners 3D. L’estimation de la pose (localisation et orientation) des pierres de taille selon le robot est réalisée par l’entraînement d’un réseau de neurones convolutif formé sur un ensemble de données d’images de synthèse. Des ensembles de données sont créés pour estimer la position et l’orientation d’une pierre de taille spécifique parmi d’autres sur une même image. Un mur avec des pierres de taille dont les formes sont toutes légèrement différentes pourrait être facilement construit, par exemple, en élaborant un appareillage d’Abeille.
O. Baverel est éditeur de l’International Journal of Space Structures, Multi-Science Publishing Co Ltd.